SCIENCE ET FEMME

Place des femmes dans la recherche en sciences : un parcours semé d’embûches

Les obstacles sont encore nombreux dans le parcours des chercheuses notamment dans le domaine des sciences dures : stéréotypes de genre, situation familiale, cooptages d’hommes par des hommes… Ils expliquent en partie leur sous-représentation dans les laboratoires de recherche et aux postes à responsabilités. Et les chiffres peinent à progresser vers la parité.

Les femmes sont toujours sous-représentées dans le monde de la recherche. Selon les chiffres du CNRS du début d’année34,5% des chercheurs sont des femmes. Bien que les questions de parité soient davantage prises en considération, la représentation des chercheuses peine à progresser.

Des stéréotypes toujours ancrés en sciences

Les obstacles commencent dès l’enfance : jeux de sciences rangés au rayon « garçons », magazines de sciences présentant des génies masculins… « La société, les professeurs ou l’entourage suggèrent aux filles que les mathématiques ou l’informatique ne sont pas pour elles« , explique Colette Guillopé, mathématicienne.

Et pour les filles qui souhaitent faire des sciences, « elles sont poussées à s’orienter plutôt vers le soin (infirmière, médecin) », explique Florence Durret, astrophysicienne émérite. « Alors, une fois arrivées au lycée, elles sont comme dans un carcan, n’ont plus la diversité de choix pour leur orientation », analyse Isabelle Vauglin, astrophysicienne et présidente de l’association Femmes et Sciences. Ainsi les femmes sont présentes en biologie, santé ou sciences humaines alors qu’elles sont en large minorité en sciences fondamentales.

« Quand je fais des exposés dans ma communauté, le public est souvent très majoritairement composé d’hommes blancs entre 35 et 55 ans« , décrit Jade Nardi, chercheuse à l’interface entre mathématiques et informatique à Rennes. Or, il peut être difficile pour certaines femmes de s’épanouir dans une discipline masculine.

Le sexisme, un frein pour les femmes ?

Comme le démontre le dernier rapport sur l’état des lieux du sexisme en France : 15% des femmes ont déjà redouté ou renoncé à s’orienter vers des carrières majoritairement composées d’hommes. La crainte de ne pas y trouver sa place, d’y être mal à l’aise ou la peur du harcèlement sexuel.

« Le sexisme est quotidien pour beaucoup, ce qui explique que certaines femmes ne restent pas », appuie Colette Guillopé. Surtout que « dans la recherche, pour trouver du travail, il faut avoir une lettre de recommandation de son directeur de thèse. Si un problème vient de là, alors il y a un risque que la personne ne dise rien par peur pour son avenir », souligne Florence Durret. Heureusement, de plus en plus d’établissements et d’universités nomment des référents égalité, et établissent des cellules pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles.


Sylvie Retailleau : « On nous inculque que l’homme est capable, et que la femme doit mériter »

Les postes à responsabilité dans la recherche sont masculins

Et même ces obstacles franchis, la disparition des femmes est visible à chaque échelon : 38% de femmes parmi les chargés de recherche au CNRS et seulement 30,1% parmi les directeurs de recherche. Le phénomène du tuyau percé. « Les femmes sont présentes, s’investissent, pourtant la part qui accèdent aux postes de professeures est plus faible », décrit Sophie Béjean, professeure des universités en science économique et présidente de l’Association pour les femmes dirigeantes de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (AFDESRI).

Les femmes sont présentes, s’investissent, pourtant la part qui accèdent aux postes de professeures est plus faible. (Sophie Béjean, AFDESRI)

Peu importe si les femmes sont sur ou sous-représentées dans la discipline : les postes à responsabilités sont masculins. « Il n’y a pas d’autocensure, les femmes font des choix qui sont le reflet de la censure de la société », appuie Isabelle Vauglin. « Pour les hommes, le plafond de verre n’existe pas, il est normal d’être ambitieux. Alors qu’en tant que femmes, on a toujours à lutter », complète Colette Guillopé. Ce que confirme Sophie Béjean : « Même à parcours comparable, les femmes n’ont pas aussi vite accès aux mêmes promotions et responsabilités. »

Déjà parce que la mobilité est inhérente à l’évolution professionnelle dans le monde de la recherche. Ce qui peut entrer en conflit avec la vie de famille. « J’ai entendu dans le passé des remarques inacceptables : de jeunes collègues devaient faire un choix entre avoir des enfants et leur carrière. J’espère que cela ne serait plus possible aujourd’hui », se rappelle Sophie Béjean.

Il faudrait les aider à « être performante dans leur vie professionnelle et sans que ce soit au détriment de leur vie personnelle« , espère Hazar Guesmi, chercheuse en science des matériaux qui avoue « comme beaucoup de collègues, j’ai des obligations familiales qui font que j’avance moins vite ».

Une invisibilisation de la femme scientifique

En plus, « les femmes sont souvent invisibilisées : leurs travaux sont peu mis en valeur, oubliés ou même spoliés au profit d’hommes« , insiste Isabelle Vauglin. Une situation aggravée par le manque de valorisation des postes souvent tenus par des femmes : responsables de salles, responsables pédagogiques, adjointes de direction… « des tâches essentielles mais moins visibles », pointe Hazar Guesmi. Et pour les statuts plus « prestigieux », un réseautage masculin existe : « Ce n’est pas toujours méchant mais spontanément un chef qui pense à sa succession se dirige vers des hommes qui lui ressemblent« , ajoute-t-elle.

Un chef qui pense à sa succession se dirige vers des hommes qui lui ressemblent. (H. Guesmi, chercheuse en sciences des matériaux)

Problème, cette invisibilisation est un cercle vicieux. Jusqu’à récemment, l’évolution de carrière au CNRS était jugée au nombre de postes de responsabilités, de publications et au facteur d’impact. Mais les comités d’évaluation et de sélection modifient de plus en plus ces critères « pour qu’ils soient plus équitables et inclusifs« , explique Hazar Guesmi qui a participé à ces refontes des lignes de force. Aujourd’hui, il est plutôt question d’analyser la dynamique de la recherche, la qualité, d’interroger ce que cela apporte ou le contexte dans lequel les travaux ont été faits, tout en ayant conscience de ses propres biais.

La crainte face à la réforme du bac

Face à ces blocages pluriels, plusieurs associations (Femmes & Sciences, Femmes et Mathématiques, l’AFDESRI…) occupent le terrain pour la mixité : elles militent pour une meilleure représentation des femmes dans les sciences, agissent pour changer les mentalités ou accompagnent les femmes notamment par du mentorat.

Quant à l’avenir, si certains signes sont encourageants, une inquiétude occupe le terrain pour les sciences fondamentales : la réforme du baccalauréat. Elle a fait chuter la part de filles en maths, avec en première ligne celles issues des milieux défavorisés. Cela risque de se répercuter sur le monde de la recherche dans quelques années.

Charlotte Mauger

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