Dans un contexte mondial où la protection des données personnelles est au cœur des préoccupations, la gestion des informations de santé n’échappe pas à cette vigilance accrue. En Côte d’Ivoire, la Direction de l’information sanitaire (DIS) joue un rôle crucial dans la collecte, la gestion et la sécurisation des données de santé.
Dr Pongathie Adama Sanogo, directeur de cette structure, nous éclaire sur les défis actuels liés à la protection des données personnelles de santé, la gouvernance des données dans le secteur médical, ainsi que les efforts entrepris pour améliorer la diffusion des informations à travers des outils comme le bulletin SNIS-INFO.
Bonjour Dr, Vous êtes le Directeur de l’information sanitaire en Côte d’Ivoire, pouvez-vous nous présenter brièvement la mission de vôtre Direction et son rôle dans la collecte et la diffusion des données sanitaires ?
La Direction de l’information sanitaire en Côte d’Ivoire a pour mission essentielle de rendre disponibles les données sanitaires. Pour ce faire, nous avons mis en place des procédures et des documents qui facilitent la collecte de ces données. Concrètement, nous utilisons des registres de consultation dans les centres de santé, où le personnel recueille les informations.
Chaque mois, ces données sont compilées dans un rapport mensuel, qui est ensuite transmis à la DIS via une application informatique appelée DHIS2. Ce système permet la saisie des données au niveau des districts et leur transmission directe à la DIS. Chaque année, nous publions des bulletins ou des rapports annuels sur la situation sanitaire nationale.
Docteur, les données de santé personnelles sont des informations sensibles. Comment la Côte d’Ivoire s’assure-t-elle de leur protection et de leur confidentialité, notamment dans le cadre de la loi de 2013 sur la protection des données personnelles ?
Il est vrai que, jusqu’à récemment, nous ne traitions que des informations agrégées, ce qui réduisait le risque lié à la protection des données personnelles. Mais avec l’introduction de nouvelles applications comme le dossier patient informatisé, la collecte d’informations individuelles est désormais nécessaire à différents niveaux du système de santé. C’est pourquoi nous avons intensifié la formation et la sensibilisation du personnel impliqué dans la collecte de ces données pour garantir leur confidentialité.
Nous avons également mis en place des niveaux d’accès différenciés : le personnel administratif, par exemple, ne peut pas accéder aux informations médicales spécifiques comme les diagnostics ou les traitements. De plus, des mécanismes de cryptage des données assurent que l’accès à ces informations est sécurisé et nécessite l’accord du patient.
Donc, les populations peuvent être rassurées quant à la sécurité de leurs informations personnelles de santé ?
Oui, les populations peuvent être rassurées. La sécurité de leurs informations est assurée à travers ces dispositifs de protection.
Concernant cet acte de protection des données à caractère personnel, plusieurs initiatives internationales, comme celles menées par Transform Health et la Société Ivoirienne de Biosciences (SIBIM), proposent des cadres d’échanges pour la gouvernance des données de santé personnelles.
Quels sont, selon vous, les éléments essentiels à inclure dans ce projet de loi type pour une gestion éthique et sécurisée des données de santé, la Dis faisant partie des institutions à consulter ?
Effectivement. Il faut déjà préciser qu’au niveau du ministère de la Santé, nos instances pour la gouvernance des données de santé sont en place. Nous avons plusieurs structures en charge de la protection et de la gestion des données à caractère personnel. Il y a notre direction, la Direction de l’Information Sanitaire, mais aussi la Direction de l’Informatique et de la Santé Digitale.
Nous avons également le projet d’appui au passage à échelle de la digitalisation. Ces entités sont responsables de garantir la sécurisation des données de santé. L’aspect primordial dans la gouvernance, c’est d’abord de s’assurer que toutes les parties prenantes sont alignées et que les objectifs du projet sont clairement définis.
À l’international, il y a aussi des projets comme celui de l’Africa CDC, qui traite des échanges d’informations en matière de santé avec toutes les garanties de sécurité. Il est donc important d’avoir des structures bien outillées pour assurer la protection des données personnelles, afin d’établir un cadre de gouvernance impliquant le ministère, la société civile, et toutes les parties prenantes. En ce qui concerne la gouvernance des données de santé, c’est une discussion qui se poursuit, notamment avec la nouvelle loi type.
Quels sont les objectifs qui vous intéressent particulièrement dans cette loi type de gouvernance des données de santé ? Et comment cette loi viendra-t-elle encadrer, à votre niveau, la gestion des données de santé ?
Cette loi est importante, surtout dans le contexte actuel. Vous savez qu’il y a peu de temps, certains personnels de santé ont pris l’habitude de publier sur les réseaux sociaux des informations personnelles concernant des patients. Lors des enquêtes, nous avons découvert que cela provenait davantage d’une méconnaissance des lois que d’une volonté de mal faire. Beaucoup de ces professionnels ignoraient les protections autour des données à caractère personnel, ce qui a entraîné la divulgation d’informations sensibles dans l’espace public.
Cela a, bien entendu, suscité des inquiétudes, notamment lorsque nous avons introduit le processus de gestion des dossiers patients. Les gens nous demandaient souvent : « Comment pouvez-vous garantir que ces données ne se retrouveront pas un jour dans le domaine public ? »
D’où l’importance pour nous de bien comprendre cette loi et de renforcer notre collaboration avec l’ARTCI (Autorité de Régulation des Télécommunications/TIC de Côte d’Ivoire). À chaque étape, nous devons obtenir leur autorisation pour utiliser, collecter et traiter les données à caractère personnel.
Chaque processus est contrôlé pour garantir la confidentialité avant tout déploiement d’applications de collecte de données. Cela se fait en lien avec l’ARTCI et les autres structures concernées.
Aujourd’hui, nous avons un rôle clé dans la sensibilisation et la formation du personnel de santé et de tous les acteurs impliqués dans la collecte de données sur la protection des données à caractère personnel. Cela fait partie intégrante de tous nos projets.
Parlons du bulletin SNiS- Infos qui est un outil pour comprendre l’état de la santé publique en Côte d’Ivoire. Pouvez-vous nous expliquer la genèse de ce bulletin et son objectif principal ?
Ce projet nous tenait à cœur depuis longtemps. Nous avons constaté que beaucoup de gens n’étaient pas informés de l’évolution des indicateurs de santé. Avant, nos rapports étaient produits chaque année, et sous un format destiné essentiellement aux professionnels de santé. Le grand public n’y avait pas vraiment accès. Nous avons alors décidé de faire appel à des spécialistes en communication pour rendre ces informations plus accessibles et permettre au grand public de mieux comprendre ces indicateurs. L’idée du bulletin est ainsi née.
Nous avons d’abord commencé avec un bulletin semestriel, mais la régularité n’était pas au rendez-vous. Cette année, nous avons relevé le défi de passer à une périodicité trimestrielle. Le premier bulletin a connu quelques retards, car c’était le lancement, mais désormais, un mois après la fin de chaque trimestre, nous publierons un bulletin. Le public pourra aussi contribuer en proposant des sujets ou en nous interpellant sur les indicateurs qui les intéressent.
Ce bulletin présente des indicateurs clés comme ceux du paludisme, de la tuberculose, du VIH, ou encore de la santé mère-enfant. Quels sont les principaux standards observés au premier trimestre 2024 et comment les présentez-vous ?
Nous observons une amélioration des indicateurs, bien que pas aussi rapide que nous l’aurions souhaité. Comparé aux mêmes périodes des années précédentes, les indicateurs sont en progression.
Ces résultats servent de boussoles aux districts et établissements sanitaires pour maintenir le cap.
Cependant, par rapport à 2021, 2022, et 2023, nous avons tout de même une légère amélioration des indicateurs, ce qui est encourageant.
Toujours dans le bulletin, on retrouve des termes comme les trois « 95″ dans le cadre de la lutte contre le VIH/SIDA. Pouvez-vous nous expliquer ce que signifie ce terme et son importance ?
Les trois 95 sont des objectifs clés dans la lutte contre le VIH/SIDA. Le premier 95 correspond à la proportion de la population qui doit connaître son statut sérologique, c’est-à-dire avoir été dépistée. Le deuxième 95 correspond à la proportion de personnes dépistées positives au VIH qui doivent être mis sous traitement ARV.
Enfin, le troisième 95 c’est la proportion de personnes sous traitement ARV qui ont une charge virale supprimée ou inférieure à 1000 copies
Si l’un de ces objectifs n’est pas atteint, l’impact global sur la lutte contre le VIH est compromis.
Docteur, quels sont les obstacles majeurs à l’atteinte de ces trois 95% ?
La sensibilisation des populations et l’accessibilité des outils de dépistage sont des défis. Parfois, il y a des ruptures de matériel de dépistage, ce qui empêche de tester tout le monde. De plus, certaines personnes testées ne reviennent pas chercher leurs résultats.
Enfin, lorsqu’on dépiste un grand nombre de personnes, il peut y avoir une pénurie de médicaments pour traiter toutes les personnes séropositives, ce qui ralentit l’atteinte du troisième 95%.
Le bulletin mentionne également des termes comme « complétude » et « promptitude » des données sanitaires. Pouvez-vous expliquer ces concepts et leur importance dans la gestion de l’information sanitaire ?
La complétude fait référence à la proportion d’établissements de santé qui transmettent leurs données. Si 95% des établissements transmettent leurs rapports, on peut dire que les données sont suffisamment représentatives.
Quant à la promptitude, elle mesure la rapidité avec laquelle ces données sont soumises. Si des rapports de janvier sont envoyés en septembre, ils ne seront plus pertinents. C’est pourquoi chaque établissement a cinq jours après la fin du mois pour transmettre son rapport.
Les performances des régions varient entre 91% et 100% en 2024. Comment expliquez-vous ces différences ?
Les performances des régions sanitaires en matière de promptitude pour le périmètre 2024 varient de 91% à 100%. Cette disparité s’explique principalement par le nombre d’établissements dans chaque région. Certaines régions disposent d’un grand nombre d’établissements, tandis que d’autres en ont peu, ce qui impacte la capacité à soumettre des rapports en temps voulu. Les conditions d’accès et la distance jouent également un rôle crucial, car les rapports doivent souvent être envoyés physiquement, et les routes peuvent être difficiles d’accès.
Cela entraîne des retards dans la transmission des rapports, particulièrement pour les districts éloignés. Un autre facteur affectant la promptitude est la rupture d’électricité et les problèmes de connexion Internet, qui sont essentiels pour la saisie et la transmission des données. Dans certaines régions, une connexion instable peut empêcher le personnel de saisir les informations à temps.
De plus, le manque de personnel dédié à la saisie des données dans les zones avec de nombreux établissements aggrave ce problème.
Pour y remédier ?
Pour remédier à ces défis, plusieurs actions ont été mises en place :
Suivi et relance : Les régions qui n’ont pas transmis leurs rapports à temps sont systématiquement relancées pour améliorer leur complétude et leur promptitude. Des formations sont organisées pour renforcer les capacités du personnel chargé de la saisie des données.
L’accompagnement sur le terrain est également prévu pour aider ces régions. Augmentation des ressources humaines est nécessaire. Du personnel est déployé pour gérer les charges de travail accrues, afin d’assurer une saisie efficace des données.
Quelles sont les priorités actuelles de la direction pour améliorer la performance de ces données sanitaires en Côte d’Ivoire ?
Concernant les priorités actuelles de la direction de l’information sanitaire, l’accent est mis sur : la formation du personnel : Un partenariat a été établi avec des écoles de formation pour garantir que tout nouveau personnel soit formé à la collecte et à la transmission des données dès leur sortie d’école.
Il également essentiel de disposer du matériel informatique adéquat et des outils nécessaires pour faciliter la collecte des données. La direction encourage également les régions à établir des bibliothèques trimestrielles de rétro-informations pour informer le public sur l’état de santé dans leur région.
Ces initiatives visent à créer un système d’information sanitaire performant qui garantisse la disponibilité et la qualité des données sanitaires dans le pays.
Edithe Valerie Nguekam