La réhabilitation de l’image du noir africain est un enjeu central dans les discussions sur le colonialisme et ses séquelles. Cette thématique, bien que traditionnellement abordée par des penseurs africains, trouve un écho particulier dans l’œuvre de Jean-Paul Sartre.
C’est dans ce contexte que Samb El Hadj Fallou, professeur de philosophie et doctorant à l’Université de Cheikh Anta Diop de Dakar, explore cette question dans un exposé détaillé lors du Symposium des Jeunes Chercheurs Africains. Il s’interroge sur la contribution de Sartre à la lutte noire, sa perception en tant que penseur post-colonial avant la lettre, et la pertinence de ses idées dans le débat contemporain sur l’Afrique.
Contexte et problématique
Il semble paradoxal de parler de Sartre dans la réhabilitation de l’image du Noir Africain, étant donné qu’il est blanc et que les Blancs sont souvent perçus comme les initiateurs des problèmes de colonisation et d’oppression. Toutefois, penser l’avenir de l’Afrique sans considérer le reste du monde reviendrait à isoler le continent.
L’objectif est donc de comprendre la contribution de Sartre à la lutte noire, et comment ses écrits peuvent être considérés comme une anticipation des pensées post-coloniales et décoloniales.
Sartre et Orphée Noir
En 1948, Sartre écrit la préface d’Orphée Noir, un texte clé où il existentialise la race et la place dans la lutte pour l’émancipation. Pour la première fois, la race est définie non comme une essence, mais comme une construction historique et sociale. Selon Sartre, l’existence précède l’essence, ce qui signifie que l’homme est défini par ses actions et ses choix, et non par une nature préétablie. Par conséquent, la race, en tant que concept essentialiste, n’a pas de fondement réel.
Existentialisme et oppression raciale
Sartre reconnaît que malgré l’inexistence de la race en tant que réalité essentielle, il existe des groupes historiquement opprimés, les Noirs étant parmi les plus oppressés au monde. Cette reconnaissance le pousse à soutenir les luttes de libération noire, en voyant cette révolte comme un maillon dans la dialectique de la lutte des classes, qui doit être transcendée par un prolétariat universel.
Méthodologie de recherche
L’étude menée par Fallou repose sur une analyse philosophique et textuelle des œuvres de Sartre et d’autres auteurs. Cette approche intertextuelle permet de comparer et de tirer des conclusions sur l’impact de Sartre. En utilisant des questionnaires, l’étude explore aussi la perception des Noirs africains sur des questions relatives à leur humanité et leur identité.
Contributions de sartre à la lutte noire
En effet, Sartre a joué un rôle crucial en réhabilitant l’image du Noir. Il a préfacé des œuvres d’auteurs noirs, apportant ainsi un cadre conceptuel pour la lutte contre la colonisation et pour l’indépendance. Toute sa philosophie s’oppose à la domination d’un peuple par un autre, une position qui se reflète dans son engagement politique et son soutien aux mouvements de libération en Afrique.
Critique du colonialisme
Dans ses préfaces et autres écrits, Sartre critique vigoureusement le colonialisme, participant ainsi activement à la lutte noire. Il présente la race noire en termes positifs, contrastant avec la perception négative souvent véhiculée en Occident. Sa position se distingue également par sa critique du privilège blanc et son appel à provincialiser l’Europe, c’est-à-dire à décentrer la vision eurocentrée du monde.
Débats et prolongements actuels
Les débats initiés par Sartre, notamment sur l’utilisation de la langue française pour exprimer l’identité africaine et la critique du modèle de développement occidental, restent pertinents aujourd’hui. Ces questions sont centrales dans les discussions sur la place de l’Afrique dans le monde moderne et la nécessité de valoriser les langues et cultures africaines dans le processus de développement.
Sartre, un penseur décolonial avant la lettre
Sartre peut être vu comme un penseur décolonial avant la lettre, ses idées étant reprises et développées par des penseurs post-coloniaux et décoloniaux contemporains. La constance de Sartre dans sa défense des opprimés, que ce soit en Afrique ou ailleurs, démontre une cohérence avec les principes fondamentaux de son existentialisme, où la liberté individuelle est centrale.
Les contributions de Sartre à la réhabilitation de l’image du Noir Africain montrent qu’il est possible pour un intellectuel blanc de jouer un rôle significatif dans la lutte contre le racisme et le colonialisme. Sa philosophie existentialiste, son engagement politique et ses écrits critiques offrent un cadre précieux pour comprendre et prolonger le débat sur l’identité et l’émancipation africaines.
La reconnaissance de Sartre comme un allié dans la lutte noire ne diminue en rien le rôle crucial des penseurs africains. Au contraire, elle enrichit le dialogue et souligne l’importance de collaborations transculturelles dans la quête de justice et de dignité pour tous les peuples.
Succès Djimtebaye (Stag)