ENTRETIEN ENVIRONNEMENT

Pr Bienvenu Sambou, directeur de l’ISE : «L’état de dégradation des écosystèmes est inquiétant»

prof sambou accordant une interview

Le thème de la Journée mondiale de l’environnement de cette année est la restauration des écosystèmes. Célébrée chaque année, elle donnera le coup d’envoi de la décennie des Nations unies pour la restauration des écosystèmes.

Il s’agit d’une mission mondiale visant à faire revivre des milliards d’hectares, des forêts aux terres agricoles, du sommet des montagnes aux profondeurs de la mer.

Quel est le rôle des écosystèmes dans l’environnement et pourquoi faut-il œuvrer pour leur restauration ?

Pour répondre à ces questionnements, nous avons tendu notre micro au professeur Bienvenu Sambou, enseignement-chercheur à la Faculté des sciences et techniques, directeur de  l’Institut des sciences de l’environnement (ISE).

Cette année, le thème de la journée de l’environnement c’est : «préservation des écosystèmes». Pourquoi préserver les écosystèmes ?

Préserver les écosystèmes simplement parce qu’ils nous rendent beaucoup de services et nous oublions souvent que notre dépendance de ces écosystèmes est très forte.

Ils nous rendent beaucoup de services en ce sens que quand vous regardez un peu ce que nous utilisons dans notre vie au quotidien, c’est tiré des écosystèmes.

Que ce soit des écosystèmes de terre ferme, ce sont les forêts, ou les écosystèmes aquatiques, ce sont les océans, les mers…

Des forêts, nous tirons beaucoup de substances alimentaires. Tous les fruits que nous consommons viennent des forêts, le jus que nous consommons… Ils sont tirés des fruits des espèces forestières.

Au plan médicinal, la plupart des substances médicales sont tirées de la forêt, y compris les comprimés. Maintenant, je retourne vers l’écosystème marrin. Ce sont des écosystèmes d’où nous tirons beaucoup de produits alimentaires.

C’est ce qu’on appelle les fruits de la mer. Les poissons sans lesquels nous aurions eu des carences du point de vue de notre alimentation en protéines. Donc quand vous regardez, les écosystèmes nous fournissent beaucoup de bien.

Au delà des biens, les écosystèmes nous fournissent d’autres services. Aujourd’hui, si nous respirons encore, c’est grâce aux écosystèmes.

Dans le fonctionnement, les écosystèmes fixent le carbone, c’est ce qui est appelé communément la séquestration du carbone qui consiste à épiler l’atmosphère du carbone parce que le carbone pour nous est toxique.

On ne sait pas vivre quand l’atmosphère est très chargée en carbone (CO2) et en même temps, ces écosystèmes de par la composante végétale génère l’oxygène dont nous avons besoin pour vivre.

Vous voyez un peu ce double rôle là. Épiler l’atmosphère puisque le CO2 nous est toxique et générer l’oxygène puisque l’oxygène nous est indispensable.

Alors si ces écosystèmes disparaissent, nous risquons de disparaître avec eux et l’état de dégradation que ce soit des écosystèmes terrestres, que ça soit des écosystèmes aquatiques,  est assez inquiétant.

Qu’est-ce qui vous le fait dire ?

Quand vous voyagez à travers nos pays, à travers l’Afrique, vous pouvez vous en rendre compte.

Du Sénégal, voyager du nord au sud, de l’est à l’ouest, vous constaterez la dégradation des écosystèmes dans le domaine du marin, l’indicateur le plus fiable, c’est que la ressource manque, le poisson manque, ce qui fait qu’il coûte très cher, ça fait que nous devons faire attention.

Heureusement que l’humanité commence à se réveiller puisque c’est à une échelle locale et à une échelle globale qu’on doit agir pour préserver ces écosystèmes.

Voilà ce que je voulais dire en quelques mots pour ce qui concerne un peu l’importance et l’état de dégradation de ces écosystèmes, encore une fois dont nous dépendons parfois sans nous en rendre compte.

Aujourd’hui, quel est concrètement le défi en matière de restauration et de sauvegarde des écosystèmes ?

Le défi, je pense qu’il faut agir à deux niveaux. A un niveau global puisque certains des facteurs qui affectent l’écosystème, ce sont des facteurs qui agissent au niveau global. Par exemple, les cas des changements climatiques évidemment. Là, il faut agir à une échelle macro à l’échelle mondiale.

C’est la force des glaciers qui fondent et le problème n’est pas au niveau des glaciers, ce sont à des milliers de kilomètres. Ce sont des phénomènes qu’on ne peut gérer qu’à l’échelle globale.

Il faut que la communauté internationale vraiment travaille à amener tous les pays à œuvrer à la préservation des écosystèmes.

Vous voyez les forêts équatoriales qui sont en train de disparaître, c’est le poumon de la terre, ci ces forêts disparaissent, les conséquences sont incalculable. Ça c’est l’échelle globale.

Il y a aussi l’échelle locale. Prenons par exemple le cas du Sénégal, chaque jour que Dieu fait, vous qui êtes de la presse, vous ne cessez de montrer des images qui montrent ce qui se passe à l’échelle locale.

Ce sont des forêts qui sont détruites, ce sont des cours d’eau qui sont perturbés. Mais la responsabilité, c’est un peu l’échelle nationale mais également l’échelle locale, les collectivités locales.

Aujourd’hui, nous, au Sénégal par exemple, nous devons agir à la base et amener les collectivités territoriales à agir vraiment à s’engager et à s’impliquer également parce que ce sont elles qui vivent les réalités, ce sont elles qui vivent à proximité de ses écosystèmes.

On ne peut pas protéger les écosystèmes sans l’implication et sans l’engagement de ces collectivités locales. Je vois que si on agit à ses deux échelles, il y a de fortes chances pour qu’on puisse améliorer un temps soit peu la situation.

Vous savez, les écosystèmes quand on les dégrade, pour les reconstituer ça prend beaucoup de temps, ça prend énormément de temps, ça fait que nous, notre crédo c’est de dire : il faut les préserver tels que Dieu le père (sic) les a conçus.

Parce qu’une fois qu’elles se dégradent, les économistes vous diront que le coût de la restauration est très élevé donc autant préserver encore l’existant et nous battre pour essayer d’améliorer l’état de ce que nous avons dégradé et je dois dire que le facteur principal c’est l’Homme.

Dans la dégradation, c’est l’Homme d’abord et les facteurs climatiques ne font qu’amplifier un processus qui a été entamé depuis très longtemps. Voilà ce que je voulais dire.

Dans tout ça, quelle est la responsabilité du chercheur, du scientifique ?

Alors, le chercheur est au centre de cette question. Vous savez, quand vous voulez résoudre un problème, il faut d’abord le comprendre. Si vous voulez renverser la tendance dont je venais de parler, qui est une tendance à la dégradation, il faut d’abord connaître les facteurs qui sont à l’origine justement de cette tendance régressive.

Tant qu’on ne maîtrise pas les facteurs, tant qu’on ne comprend pas, eh bien ça sera de la peine perdue.

Mais ça, ce sont les chercheurs qui doivent apporter toutes ces informations qui devraient permettre aux gestionnaires d’agir pour renverser les tendances.

On peut dire que le chercheur joue un rôle extrêmement important. Il doit d’abord expliquer : c’est quoi l’écosystème ? comment il fonctionne ? les facteurs qui l’affectent, et sur quoi il faut agir pour renverser le processus ?

Pensez-vous que les chercheurs au Sénégal font ce travail ?

Là vous me poser une question assez delicate ! J’allais dire que les chercheurs font avec les moyens qui sont mis à leur disposition. Si je dois dire les choses telles qu’elles se déroulent, vous me permettrez de dire que la recherche c’est le parent pauvre dans notre pays. 

C’est comme si les autorités de notre pays ne croyaient pas à la recherche. Or, c’est la recherche qui devrait éclairer les actions mais manifestement, et c’est dommage que dans cette affaire on est pauvre.

On est beaucoup plus sur l’action et parfois on agit sur quelques choses qu’on ne comprend pas et ça donne les résultats que ça donne. Je crois qu’on doit donner à la recherche vraiment sa place.

Vous avez connu un pays qui s’est développé sans la recherche ? Il n’y en a pas. Tous les pays développés sont des pays qui maîtrisent la science, ce sont des pays qui sont très avancés sur la recherche.

Ce n’est malheureusement pas à cacher et ça je suis désolé de le dire. Je crois que les autorités doivent vraiment de plus en plus appuyer les chercheurs, ce sont eux qui doivent éclairer, ce sont eux qui doivent dire ce qu’il y a lieu de faire.

Professeur, au regard de ce tableau peint, y a-t-il espoir ?

C’est qu’on peut espérer. Tout n’est pas perdu mais c’est le moment plus que jamais de mettre les moyens là où il faut les mettre et je vais prêcher pour ma chapelle.

La recherche, il faut l’appuyer à travers la multitude des masters qui sont en création au Sénégal. Je crois que ça va permettre d’atteindre une masse critique de chercheurs qui devraient justement travailler.

Kuessi Giraud TOGBÉ

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