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Les poissons « petits pélagiques » à l’épreuve du changement climatique en Afrique de l’Ouest 

Une étude dirigée par les chercheurs du Centre de recherches océanographiques de Dakar-Thiaroye (CRODT-ISRA) et de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), montre que les ressources halieutiques en Afrique de l’Ouest, notamment au Sénégal et en Mauritanie migrent vers le Nord. Ce, sous l’effet pervers du réchauffement climatique. Un phénomène qui se justifie  au plan scientifique mais qui n’est pas sans conséquences socio-économiques majeures sur les populations. 

En effet, selon Abdoulaye SARR du Centre de recherche Océanographique de Dakar Thiaroye (CRODT-ISRA), principal auteur de la recherche, il s’agit « de comprendre la dynamique  des petits pélagiques dans la région qui sont d’une importance capitale. On sait qu’au Sénégal par exemple, les sardinelles rondes  contribuent énormément à la sécurité alimentaire  dans le pays car, elles sont très liées au plat principal qui est le thiebou dieune. »

Par ailleurs, cette étude se justifie aussi, par l’absence de peu  d’études scientifiques sur l’impact des changements climatiques sur les organismes marins.  Pour Patrice Brehmer, écologue des pêches, chercheur à l’IRD et l’un des co-auteur de cette étude, c’est l’une des raisons qui ont motivé l’équipe de recherche à travailler sur les tenants et les aboutissants des effets du changement climatique sur les ressources halieutiques. « On a donc une première étude, explique-t-il,  qui met tout d’abord en exergue, ce réchauffement climatique jamais vu par ailleurs,  et puis les impacts (ndlr :  du changement climatique ) qui contraignent la ressource  à monter vers le nord, dans des zones plus favorables. ».

En clair, les espèces de poissons telles que les sardinelles rondes ou encore les petits pélagiques deviennent de plus en plus rares sur les côtes sénégalaises  et mauritaniennes parce qu’elles migrent vers d’autres zones plus favorables. Interrogé par Scidev.net, Abdoulaye Sarr affirme que les chercheurs sont arrivés à la conclusion qu’il y a « un réchauffement exceptionnel au niveau de la région, le réchauffement le plus important parmi toutes les régions tropicales du monde. 

Un déplacement du centre de gravité des biomasses de sardinelles rondes et de plusieurs autres petits pélagiques d’intérêts dans la sous- région ». Cela se combine, renchérit Patrice Brehmer de l’IRD, à « des problèmes de gouvernance, à des problèmes de surexploitation récurrente, ce qui fait que maintenant, la ressource halieutique est confrontée à  une situation extrêmement préoccupante».

Phénomène ancien dans un nouveau milieu 

Le phénomène du changement climatique devient plus préoccupant à tous les niveaux.  S’il y a de cela quelques années, l’on ne parlait que d’autres problèmes liés au changement climatique comme la sécheresse, l’avancée de la mer, la recherche halieutique elle-même se trouve éprouvée à cette aire. « Dans les profondeurs d’eau où on trouvait certains poissons, maintenant tu peux y aller et tu ne trouves même pas ces espèces. On trouve d’autres espèces qu’on ne retrouvait pas dans ces profondeurs d’eau.

Cela montre effectivement depuis quelques années qu’on sent un changement même dans le comportement de ces poissons, dans leur façon de se déplacer. Certains poissons qu’on ne voyait que pendant l’hivernage, maintenant on peut les voir dans la période sèche et vice versa », confesse , Abdoulaye Ndiaye, pêcheur artisan sénégalaise et secrétaire national pour la Coalition nationale pour une pêche durable (CoNaPeD). 

Du côté des connaissances empiriques, ajoute-il, nous ne saurions réfuter ce que les scientifiques disent au sujet du réchauffement climatique. En voyant l’érosion côtière et autres, on peut dire qu’il y a des changements au niveau de l’écosystème marin, conclut-il. 

Dr Bara Dème est chercheur au Centre de Gouvernance Blue de l’Université de Portsmouth. Fort de ses dizaines d’années d’expérience en matière de gouvernance durable des pêcheries artisanales sénégalaises en Afrique de l’Ouest, il précise que « cette migration-là est particulièrement observée chez les petits pélagiques qui, sont les espèces qui sont les plus sensibles aux changements de température de l’eau ».

Les poissons pélagiques constituent l’essentiel de la production en Afrique de l’Ouest, soit 80 % de la production. Ainsi, le changement climatique altère les écosystèmes de mangrove et les écosystèmes d’herbiers marins qui jouent le rôle de zone d’alimentation pour ses poissons pélagiques.

En général, fait  la même source : « ces écosystèmes constituent  les corridors migratoires et lorsque ces habitats sont altérés également, comme moyens de résilience, les espèces pélagiques essayent d’aller vers des zones qui présentent des habitats et des écosystèmes en meilleure santé. »

Pour ce chercheur, tous ces éléments peuvent scientifiquement justifier la thèse de migration intense des ressources halieutiques vers le nord. « Ce sont tous ces éléments qui font qu’aujourd’hui le couloir de migration vers le nord s’est beaucoup intensifié au cours de ces dernières années. » clarifie-t-il. 

Pénurie de matière première pour la transformation artisanale de poisson

Les impacts négatifs du phénomène de migration des ressources halieutiques peuvent être observées à divers niveaux. Sur le plan écologique, « c’est tout ce qui est lié à la diminution de la biodiversité. C’est tout ce qui est lié à l’effet cascade; quand on parle de diminution d’une population de poisson, cela peut provoquer des effets en cascades dans la chaîne alimentaire.

Cela affecte les prédateurs et les proies », notifie le Dr Bara Dème. Interrogé, le pêcheur Abdoulaye Ndiaye affirme qu’il y a des conséquences sur les communautés côtières, surtout sur les pêcheurs. Pour lui, « on sent qu’il y a beaucoup de désagréments qu’on a pu constater avec ces changements qui ont eu lieu ces dernières années ». La plus partante, poursuit-il, ce sont les zones de pêches qui sont devenues très éloignées, la taille des poissons ne sont plus comme elles étaient. 

Les répercussions sont d’autant plus significatives car tous les métiers liés à l’activité de pêche sont affectés. De plus, il ne faut pas négliger les conséquences socio-économiques, telles que la diminution des revenus des acteurs de la pêche. La filière de la transformation artisanale, s’alimente particulièrement de ces espèces de poissons dites  de Petits Pélagiques.

« Lorsque ces espèces se raréfient sur le marché, cela compromet la disponibilité de la matière première pour les femmes transformatrices », se désole le Dr Bara Dème, chercheur au Centre de Gouvernance Bleue à l’Université de Portsmouth. 

Atténuer la pression sur les ressources halieutiques 

Au détour des échanges avec les principaux acteurs sur le terrain, plusieurs solutions sont proposées pour sauver la pêche de sa crise.  Pour le Dr Bara Dème, dans un contexte de surexploitation des ressources halieutiques, il faudra essayer de stopper la transformation des petits pélagiques en farine de poisson et de faire en sorte que l’essentiel de la production soit approvisionné pour le marché local.

« L’autre élément aussi, c’est de réduire les pertes post-capture. Aujourd’hui, il y a des pratiques très peu gratifiantes de poissons pélagiques, donc il est important aujourd’hui quand même de voir les défaillances au niveau de la chaîne de frappe pour essayer de les maximiser. La production et la disponibilité, aussi bien pour le marché de la consommation que par exemple pour la filière de la transformation interne des derniers éléments. » renchérit-il. 

Selon ces analyses « en Guinée, on a les pêcheurs ghanéens, par exemple, qui vont en Côte d’Ivoire pour capturer ces espèces pélagiques sans avoir une bonne maîtrise de cette législation ». Il convient dès lors, à en croire notre interlocuteur, de travailler à harmoniser les législations nationales permettant de prendre en compte les aspects liés à la pêche migrante.

Pour atténuer les effets globaux du changement climatique, le chercheur Patrice Brehmer souligne la nécessité pour les États de respecter les engagements pris lors des COP, en particulier les Contributions Déterminées au Niveau National (NDC).

De plus, il recommande d’harmoniser les mesures de gestion de la pêche, en les rendant plus explicites et co-construites avec les pêcheurs, afin de résoudre les problèmes liés à l’effondrement des stocks de petits pélagiques en Mauritanie et au Sénégal, pays au cœur de l’étude.

Un audit  de la  pêche  sénégalaise s’impose! Scande Abdoulaye Ndiaye pour sa part. Pour ce pêcheur et Secrétaire National de la Coalition Nationale pour une Pêche Durable (CoNaPeD), l‘État doit mettre en œuvre des mesures d’atténuations des effets du changement climatique.

Cette migration des espèces fait que la pêche n’est plus rentable. « Il faudrait trouver des mesures de reconversion qui vont pousser ses acteurs de la pêche vers d’autres métiers.  Si la pêche n’est plus rentable et  que les pêcheurs continuent à racler le fond marin,  c’est la sécurité alimentaire qui peut être menacée » a-t-il prévenu.

Les politiques  à la manœuvre 

Dans un communiqué daté du 25 juillet 2024, le ministère de la Pêche, des Infrastructures Maritimes et Portuaires du Sénégal a annoncé qu’il commencera à publier les chiffres relatifs aux navires de pêche arraisonnés ainsi qu’au montant des amendes versées au Trésor public.

Cette initiative vise à accroître la transparence sur les actions de la Direction de la Protection et de la Surveillance des Pêches (DPSP) dans sa lutte contre la pêche Illicite Non déclarée et Non réglementée (INN), tout en protégeant les ressources halieutiques des eaux sénégalaises.

Dois-t-on le rappeler en mai 2024, la liste des navires autorisés à pêcher dans les eaux sénégalaises avait été publiée. Les autorités sont conscientes des défis auxquels le secteur est confronté et s’efforcent de les résoudre.

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