L’accès à l’information est un pilier indispensable qui permet la libre circulation de l’information et fait progresser la promotion et la protection des droits de l’homme selon l’UNESCO. Au Sénégal depuis 10 ans déjà les organisations faitières des journalistes, les institutions, et acteurs de la société civile travaillent d’arrache-pied pour faire aboutir le projet de loi sur l’accès à l’information dans le pays. Nous avons rencontré Ibrahima Bakhoum, journaliste et formateur en journalisme qui est dans la même vision.
Celle d’avoir une disposition qui pourrait contraindre les sources à donner l’information pour le bonheur des citoyens de la nation. Dans cet entretien, il est revenu sur la nécessité pour tout individu d’accéder à l’information et le besoin de l’adoption de la loi sur l’accès à l’information. Bonne lecture !
All For Sciences Media :Vous êtes journaliste chevronné et formateur en journalisme, au regard de vos expériences, quelle est à votre avis l’utilité pour un journaliste d’accéder à l’information ?
Ibrahim B. : D’abord il faut partir du principe que le journaliste n’est pas censé connaître tout. Sa particularité, c’est comment savoir et en face, il y a un public qui veut savoir. Le journaliste est donc l’interface entre ceux qui savent et qui détiennent de l’information et ceux qui veulent savoir. Mais lui à priori ne sait rien. Il a ainsi besoin de quelqu’un pour l’informer et sur la base de cette information il donne à ceux qui ont besoin de savoir. Il est alors à la fois les yeux et les oreilles du public.
Quand tu as l’oreille du public, tu es obligé d’aller vers les gens qui ont de l’information pour la société et le public a le droit de savoir. Quand il s’agit par exemple de gouvernance, les élus détiennent de l’information et sur la base de prérogatives qui leurs ont été transférées par des citoyens électeurs. Ce citoyen vous a confié quelque chose en tant qu’élu et il a besoin de savoir ce que vous en faites.
Si le journaliste a des difficultés à vous joindre ou contacter physiquement, on dit donc que l’un d’entre vous a trahi la confiance placée en lui par le citoyen. On dit de ce point de vue que le journaliste doit être en mesure d’accéder aux différentes sources d’information.
On n’a pas le droit de cacher l’information au journaliste de peur de priver le citoyen de ce qu’on fait de sa sécurité et de son argent. L’autre chose c’est quelle importance il y a pour le journaliste. Comme je le disais, puisque le journaliste ne sait pas tout, ce qu’il doit faire c’est d’aller vers ceux qui savent et qui ont l’information. Il est par conséquent important qu’il accède à ses sources.
Toutefois, on ne lui dira pas tout puisqu’il a des informations sensibles. Par exemple, quand la sécurité nationale est concernée ou qu’il s’agisse d’unité de cohésion sociale, le journaliste ne peut pas se donner la possibilité d’aller dans tous les sens et faire ce qu’il veut. Il y a également une question de responsabilité. La liberté et la responsabilité sont deux choses différentes.
Au Sénégal, pensez- vous que les journalistes ont des difficultés à accéder à l’information ?
Il y a des journalistes qui ne font pas bien le traitement normal des informations qu’on leur donne et donc finalement leur crédibilité prend un coup. Beaucoup finissent donc par les fuir et il leur devient très difficile d’avoir accès à l’information. Tout simplement à cause de leurs comportements antérieurs. Il y a également des cas où accéder à l’information est difficile pour le journaliste. Par exemple, le cas de la sécurité nationale.
Il y a d’autres qui ne veulent pas donner l’information au journaliste à cause de leur manque de confiance ou de compétence ou du moins il y en a d’autres qui se croient tout permis et ont tendance à cacher des choses. Sur ce, il arrive qu’il y ait des journalistes qui n’ont pas accès à l’information.
Ibrahima Bakhoum journaliste
Mais, la loi a évolué et le code de la presse dit clairement que le journaliste a accès à l’information. Ce qu’on peut ajouter en répliquant c’est que nul part il est dit que celui qui détient l’information a l’obligation de donner aux journalistes. Il y a donc une petite barrière. Le journaliste a droit à l’information au sens générique mais dans l’effet, est-ce qu’on lui donne l’information ? C’est d’ailleurs cette barrière qu’on n’a pas encore franchie.
C’est justement cette barrière que la loi sur l’accès à l’information viendra corriger si les démarches aboutissent au plus vite .Non ?
Oui ! Pour qu’on ne se contente pas uniquement de dire : vous avez accès, on doit également dire, celui qui a l’information doit obligatoirement vous la donner.
Nous sommes dans un contexte où certains vous diront à conserver, d’autres vous diront à préserver ou à consolider ou bien à construire. Voilà donc la démocratie sénégalaise en fonction de la lecture de chacun, il y a des différences. Mais, c’est peut être avec la pratique qu’on s’est rendu compte qu’il y a encore de difficulté pour les journalistes à accéder à l’information et surtout administrative.
Ce qui intéresse le citoyen c’est qu’on lui dise on va construire des infrastructures. Et donc le journaliste doit être en mesure de lui dire qui veut construire, avec quel argent on veut le faire et ce qui va se passer après. C’est ce qu’on appelle avoir la possibilité de faire de l’investigation ; puisque l’investigation n’est rien d’autre qu’une enquête approfondie. Il faut noter qu’on n’a pas besoin d’être spécialiste d’investigation avant d’investiguer.
Tout journaliste est supposé faire un travail d’approfondissement de ce qu’il sait ; à partir du moment où vous avez fait de l’actualité. C’est-à-dire que le fait ou l’événement est là et après il a une lecture post qui vous permet de découvrir ce que vous n’aviez pas vu et l’approfondissement de ces choses.
Il faut creuser les informations alors ?
Absolument ! Le journaliste est supposé aller au-delà sinon, c’est de la littérature et non du journalisme. C’est comme la différence entre le reporter et le romancier. Le romancier peut inventer avec son inspiration mais le journaliste n’invente rien ; c’est du factuel. L’accès à l’information est donc obligatoire.
D’après l’histoire de l’investigation, les journalistes ont pu avoir l’information en invoquant le premier amendement de la constitution des Etats-Unis et effectivement la personne qui l’a devant vous sait que oui le premier amendement de la constitution l’oblige à vous donner l’information. Et c’est un texte qui date depuis 1791 mais qui est toujours d’actualité.
Avec le tableau que vous avez peint, ne voyez-vous pas la nécessité justement qu’on finisse par adopter une loi d’accès à l’information au Sénégal ? Pour faciliter le travail aux journalistes et par ricochet aux citoyens qui ont le droit d’avoir l’information.
Oui c’est hyper important et ils y travaillent. Mais il n’y aurait pas de problème à ce niveau puisqu’on parle de renforcement du code actuel. Le code stipule que le journaliste a l’accès à l’information et c’est bien écrit au présent de l’indicatif donc c’est permanent. Le présent est un temps d’actualisation et donc le journaliste doit avoir l’information en permanence. Cependant, aucune loi n’oblige quelqu’un à donner l’information aux journalistes.
Dès lors, aucun journaliste ne peut poursuivre quelqu’un. Mais s’il y avait une loi qui oblige à donner l’information, personne ne peut s’y opposer et on peut poursuivre dans ce cas. C’est le droit du contribuable de savoir ce que vous faites de sa sécurité et ce que vous faites de son argent qu’il donne et donc c’est une obligation de donner l’information au journaliste, lui qui représente le citoyen. Par contre, ce n’est pas encore le cas puisque cette loi n’existe pas encore et on doit y penser.
Alors Ibrahima Bakhoum pour finir, quel est le rôle de l’information vraie dans une démocratie comme la nôtre au Sénégal ?
Pour finir, c’est pour dire qu’il est essentiel dans une démocratie qu’un citoyen puisse savoir. Sinon comment on peut choisir celui qu’on veut élire, celui qui va gouverner et celui qui va gérer les affaires de la cité si on cache des choses ou si le citoyen ne sait pas.
Un citoyen bien informé est capable de dire voici ceux que je veux qu’on nomme. Et ces derniers seront encore plus à l’aise parce qu’ils sauront qu’ils ont été élus ou nommés par un citoyen qui sait. Ce citoyen sait parce qu’il a été bien informé et bien évidemment par le biais de la presse qui est bien informée aussi.
Propos recueillis par Giraud Togbé