Dès le lycée, le Dr Fabienne Adjaratou Sanou a démontré une affinité pour les mathématiques et les sciences naturelles. Son parcours académique, jalonné de succès, l’a naturellement conduite vers des études de médecine, un choix guidé par son amour du contact humain et son désir de sauver des vies.
Après sept années de formation, elle a choisi de se spécialiser en hématologie à Abidjan en Côte d’Ivoire, avant de revenir au Burkina Faso pour intégrer le Centre Hospitalier Universitaire Bogodogo de Ouagadougou. Elle inspire par son implication dans la lutte contre la drépanocytose et sa défense de l’émancipation féminine. Avec l’équipe de All For Sciences, elle partage son parcours, ses passions et ses convictions, à travers un témoignage qui met en ligne de mire la science, la médecine et l’engagement humanitaire.
Dr, pouvez-vous vous présentez davantage pour nos lecteurs ?
Je suis Dr Sanou Adjaratou Fabienne, je suis médecin hématologue, donc je m’occupe des problèmes de sang. Je travaille à l’hôpital de Bogodogo, je m’occupe également des drépanocytaires dans une autre structure de la place.
Vous êtes médecin hématologue. Depuis combien de temps que vous exercez cette profession ? Qu’est-ce qui a justifié le choix de l’Hématologie ?
J’exerce mon métier depuis 2010, donc cela fait 15 ans aujourd’hui. Mon choix de l‘hématologie, je l’ai fait dès que j’ai été en contact avec l’hématologie, à ma quatrième année de médecine. On avait cette matière dans le programme. J’ai bien aimé l’aspect où on peut à la fois être en contact avec les gens, parce que j’aime bien cela, et à la fois être au laboratoire pour faire des analyses.
Visiblement Dr Sanou est une amoureuse de la science depuis fort longtemps. Comment l’amour de la science s’est installé en vous ?
J’aimais bien les mathématiques. Quand j’étais beaucoup plus jeune, j’aimais bien les maths surtout le côté exact et prévisible. Quand tu ne te trompes pas au début sur les formules, tu es sûr qu’à la fin, tu as un raisonnement qui est logique, qui sonne comme une musique parfaite, tu arrives à un résultat.
Après le BEPC, j’étais inscrite en série C et j’ai continué en 1re C puis en Terminale C. En plus des Mathématiques j’aimais beaucoup aussi les Sciences Naturelles qui nous permettaient de découvrir la nature. Donc, cela fait que logiquement, après le Bac, il fallait trouver quelque chose qui faisait un peu le lien. Bon, les maths, c’était bien, mais je ne les trouvais pas aussi concrètes que la médecine.
Quelle est l’activité principale d’un médecin hématologue ?
La particularité de l’hématologie, c’est que vous avez l’aspect clinique et l’aspect biologie. Je rappelle que l’hématologie, c’est la science du sang. La science du sang dans tous ses aspects. Pour ma part, je m’occupe plutôt de ce qu’on appelle la clinique, donc les maladies appliquées aux patients. Parlant de maladies, c’est la drépanocytose, que je pense que la population connaît très bien.
Vous avez également tout ce qui est cancer du sang, quand on dit leucémie, tout de suite, les gens savent qu’on parle de cancer du sang. Moi, je m’occupe beaucoup plus de ça. Il n’empêche que dans notre formation, on a une casquette de biologie. On est obligé de faire un an entier au laboratoire pour voir concrètement les maladies qui se traduisent vers des signes chez le patient, à quoi ça correspond, et pour pouvoir discuter, un tant soit peu, avec les biologistes ultérieurement.
Dr Fabienne Adjaratou Sanou, médecin hématologue
Quelle est le taux de prévalence de cette maladie au Burkina Faso ?
Concernant la drépanocytose, malheureusement, on n’a pas d’études qui aient pris en compte toute la population Burkinabè. On a beaucoup de données parcellaires. Je prends pour référence l’étude de notre aîné, professeur Kafando, qui parlait de 3 % des naissances au Burkina, pour parler du trait drépanocytaire AS. Mais de prévalence au niveau national, c’est très difficile de vous répondre.
Je peux vous dire concrètement, pour m’occuper de drépanocytose dans une structure de la place à Ouagadougou, que chaque année, on ouvre en gros 300 dossiers de patients drépanocytaires. Et ça, c’est juste une structure de Ouagadougou et ses environs. Et je vous parle de 300 dossiers en moyenne chaque année depuis 2010. Donc, si vous faites un peu le calcul, 300 dossiers depuis 15 ans, vous vous retrouvez avec au moins 4500 patients pour Ouagadougou et ses environs. C’est quand même assez important.
L’hématologie, est-ce que c’est un domaine qui est beaucoup convoité par les femmes ?
Les hématologues, on n’est pas nombreux. On est actuellement quatre (4) pour tout le Burkina. Quatre en fonction, sinon on est cinq concrètement. Mais on a notre aîné, le seul homme, qui vient de partir à la retraite. Les quatre qui sont là actuellement sont toutes des femmes. Mais il y a beaucoup d’hémato biologistes. Là aussi, la prédominance reste féminine.
Ne me demandez pas pourquoi parce que je sais que dans d’autres pays, en Côte d’Ivoire par exemple, où j’ai fait ma formation, il y avait pratiquement une seule femme dans le staff. Donc, je ne sais pas s’il y a une corrélation quelconque. Je suis allée également ailleurs, où effectivement l’hématologie était beaucoup à prédominance féminine. Donc, c’est vraiment relatif. Le fait qu’on ne soit pas nombreux rend les choses un peu difficiles.
Pour ma part, chaque semaine, je peux voir au moins 20 patients drépanocytaires. Et peut-être autant en termes de maladies qui ne sont pas la drépanocytose. La pression est très forte. Je sais que quand je commence mes consultations à Bogodogo le matin, j’en ai pour au moins 4 heures, voire plus, de consultations continues, tous patients confondus. Mais dans l’après-midi, je m’occupe spécifiquement des drépanocytaires. Il y en a au moins une dizaine à une vingtaine par consultation.
En plus, il faut s’occuper des patients hospitalisés. Et ce qui est un peu regrettable, c’est que, pour le moment, l’hématologie, en dehors des murs où nous sommes (ndlr CHU-Bogodogo), où nous avons mis Oncologie et Hématologie Clinique, pour le moment, l’Hématologie n’a pas vraiment eu la chance d’avoir des murs spécifiques à elle, au Burkina. Par exemple, ici à Bogodogo, c’est le seul service où vous allez voir afficher clairement Hématologie Clinique.
On voit que vous êtes très occupée. Comment arrivez-vous donc à conjuguer vos activités professionnelles et vie familiale ?
Disons que je fais de mon mieux. Par exemple, les mercredis où les enfants sortent de l’école à midi, on consacre cela aux devoirs. Et puis l’après-midi, je continue mes consultations à l’hôpital. Les week-ends, on essaie de faire en sorte de ne pas se laisser envahir par les patients, au moins les week-ends.
Je fais en sorte de transformer chaque moment que je passe avec ma famille en un moment de qualité. Donc par exemple les week-ends , ne me cherchez pas. À moins d’une urgence extrêmement urgente. Si je n’ai pas de permanence, le week-end est exclusivement réservé à ma famille.

Vous traitez beaucoup de patients drépanocytaires. Mais il y a une sorte d’idées reçues comme quoi ces derniers n’auraient pas une longue vie. En tant que spécialiste du domaine, que répondez-vous ?
Je réponds qu’il faut arrêter de dire des choses comme ça! Ce que je vais dire est aussi valable pour les patients qui n’ont pas encore l’information. Quand je reçois, surtout les jeunes et les adolescents drépanocytaires, je leur dis que la meilleure façon c’est de bien cerner leur état de santé, c’est d’aller vers la bonne information et puiser la vraie information.
Honnêtement, la science est quand même assez évoluée aujourd’hui, pour qu’on sache ce que c’est que la drépanocytose, pour qu’on ait un minimum de prise en charge afin que les patients puissent suivivre. À titre d’exemple, pour les patients dont je fais le suivi, au niveau des hommes, le plus âgé a 72 ans. Il se fait suivre régulièrement. Et au niveau des femmes, la plus âgée a 83 ans. Elle a des enfants, elle a des petits-enfants, elle est sur ses pieds, etc.
Dr Fabienne Adjaratou Sanou, médecin hématologue
Ce sont des patients qui se font suivre et pas forcément avec de gros moyens, parce que l’autre souci, ce sont les moyens. Nous sommes au Burkina Faso, disons-nous les choses, on n’a pas forcément les moyens. C’est le premier problème. Parfois les moyens manquent pour poser correctement le diagnostic de la drépanocytose.
Mais je dis souvent aux patients, c’est vrai que les moyens peuvent faire défaut, mais on peut toujours trouver un terrain d’entente. Si on sait que vous avez cette pathologie-là, posez-nous concrètement vos problèmes de moyens, on va essayer d’adapter. Ce n’est pas le fait de disparaître pendant des mois pour revenir après avec une situation qui pourrait s’aggraver qui est la solution.
Bref, il faut combattre cette idée-là. Il faut venir à la bonne information, il faut avoir les bons gestes selon ce que les médecins vous disent et vous vivrez votre vie.
Comment un patient drépanocytaires doit se comporter au quotidien afin de vivre au mieux avec sa maladie ?
Avec la drépanocytose, on essaye d’éviter le terme maladie parce que chez nous, par maladie, les gens entendent le début, le milieu et la fin. Alors que la drépanocytose n’a pas de fin. On fait comprendre aux patients qu’ils sont nés avec une forme de sang particulière, qui effectivement, dans certaines circonstances, leur crée des soucis qu’ils doivent venir voir le médecin le plus souvent.
La drépanocytose a beaucoup de formes. On s’adapte. Ce que nous disons au départ aux gens, c’est qu’on vous brosse l’ensemble des manifestations possibles. Regardez parmi ces manifestations ce qui vous concerne. Si c’est une fatigue qui ne passe pas, cherchez ensuite ce qui déclenche cette fatigue. Si ce sont des douleurs, parce que c’est ce que les gens voient le plus souvent, cherchez à identifier chez vous ce qui déclenche ces douleurs.
Dr Fabienne Adjaratou Sanou, médecin hématologue
Nous, on dit de façon standard que c’est le froid intense, surtout les changements de température, c’est la déshydratation, c’est la fatigue, ce sont les stress, ce sont les espaces fermés où l’air ne circule pas, ce sont les habits trop serrés, mais vous, vous pouvez trouver que dans tout cela il n’y a pas quelque chose qui vous concerne.
Cherchez à identifier chez vous ce qui déclenche vos douleurs et sachez l’éviter. Si c’est la fatigue, qu’est-ce que, selon vous, fait passer la fatigue plus vite ? Si c’est des douleurs, quels médicaments, selon vous, soulagent vos douleurs plus vite ? Ayez ce médicament à la maison.
Bref, sachez vous connaître. Etudiez-vous vous-même. Il ne faut pas que quelqu’un vienne parler de votre drépanocytose à votre place. Pour avoir fait quelques sensibilisations, des patients nous disent ceci : « c’est vrai, vous avez la science, mais la drépanocytose, c’est nous qui vivons avec. Donc vous ne la connaissez pas mieux que nous ». Et c’est vrai. De manière standard, ce qui est commun à tous les drépanocytaires, on leur dit de boire de l’eau, d’éviter de fumer et de boire de l’alcool.
Comment devient-on médecin hématologue ?
Si vous voulez parler du parcours scolaire ou parcours académique dans le système français, après le Bac, vous vous orientez vers la médecine générale, et puis à l’issue de votre formation de médecin généraliste, en fonction de vos capacités, vous continuez en spécialisation d’hématologie.
Personnellement, comme je savais déjà ce que je voulais faire depuis très longtemps, je me suis dit, au lieu de sortir, essayer de travailler, c’est mieux de continuer parce que la médecine, c’est déjà long. La formation de médecin généraliste vous prend déjà 7 ans de votre vie. Il faut ajouter la spécialisation qui peut faire 4 à 5 ans.Donc, après la médecine générale, je suis allée faire ma spécialisation.
A l’époque, c’était seulement l’école d’Abidjan qui faisait de l’hématologie. 7 ans de médecine générale et 4 ans de spécialisation, cela fait 11 ans. 11 ans, ce n’est pas du jeu.
Un mot à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes ?
La lutte doit continuer. J’ai fait un séjour un peu prolongé chez les Occidentaux mais ils ne savent même pas ce que c’est que le 8 mars. Les femmes ne savent même pas ce que c’est, parce que chez elles, c’est acquis. Il y a plein de droits qu’elles ont acquis. Nos droits ne sont pas encore acquis. Malheureusement. Les questions d’héritage, les questions d’accès aux comptes en banque pour certaines femmes, ce n’est pas acquis.
De ma position, je reçois beaucoup de femmes en consultation. Et quand tu essaies de faire le tri, il y a beaucoup de maladies que quand les femmes viennent vous raconter, vous vous rendez compte que c’est parce que derrière, il y a une pression sociale qui ne dit pas son nom. Pourquoi il y a toujours cette pression sociale ? C’est parce que nos droits ne sont pas encore acquis. Donc, honnêtement, la lutte doit continuer.
Dr Fabienne Adjaratou Sanou, médecin hématologue
J’invite mes jeunes sœurs à se prendre en main. Aujourd’hui, les réseaux sociaux font beaucoup l’apologie de l’argent. [Que] la femme, c’est l’argent. Je ne dis pas non, mais c’est de l’argent qu’elle doit chercher elle-même. Il n’y a rien de tel que d’être autonome. Et c’est la meilleure manière de vraiment conquérir nos droits les plus légitimes.
Interview réalisée par Masbé NDENGAR