Des recherches scientifiques, mêlant écologie marine, économie des pêches et mathématiques, explorent la gestion d’une ressource halieutique partagée entre plusieurs pays ouest-africains. Ces travaux de modélisation définissent la stratégie la plus équilibrée et durable pour tous les intervenants.
La coopération est la meilleure des solutions pour gérer une ressource partagée. Ce qui parait être une simple question de bon sens est en réalité la conclusion d’une étude scientifique pointue sur les activités de pêche dans le grand écosystème du Courant des Canaries 1. Ces recherches s’inscrivent dans le cadre du projet européen PREFACE.
« Cette région d’Afrique de l’Ouest abrite une population de petits poissons pélagiques, qui migre saisonnièrement le long des côtes et est exploitée par plusieurs pays « , explique l’écologiste des pêches Patrice Brehmer.
Du littoral nord de la Mauritanie au sud du Sénégal et au-delà, les sardinelles rondes constituent une richesse naturelle convoitée. Les flottes des différents pays riverains s’emploient à capturer chacune la meilleure part de cette ressource. Une instance intergouvernementale dédiée, la Commission sous-régionale des pêches, travaille à harmoniser les politiques en la matière et à encourager une future gestion globale des stocks de poisson partagés. Pour autant, l’activité représente des enjeux importants et suscite des tensions parfois vives entre pays concernés.
Enjeux économiques et sociaux
Pour le Sénégal, la pêche des sardinelles est à la fois un secteur économique vital, mobilisant une abondante main d’œuvre, la source principale de protéines alimentaires pour la population et une activité traditionnelle à fort contenu culturel. Pour la Mauritanie, qui compte peu de pêcheurs, c’est surtout une rente économique dont la mise en valeur est principalement confiée à des opérateurs étrangers. Récemment, les deux voisins ne sont pas parvenus à renouveler leurs accords historiques de pêche.
« Dans ce contexte, nous avons cherché comment exploiter de façon équilibrée cette ressource partagée et mobile , raconte Timothée Brochier, spécialiste en modélisation.
Pour cela, nous avons développé des modèles simulant différents comportement des pêcheries nationales des pays traversés par la population de poissons migrateurs « . Intégrant les contraintes écologiques spécifiques à cette ressource – habitat, stock et migration des poissons -, ils analysent son exploitation selon différentes modalités.
Un premier scénario, dit « compétitif », envisage le cas où chaque pays prélève de façon autonome, sans se préoccuper de l’action menée par les autres. Un deuxième, « coopératif » celui-là, suppose une politique concertée entre les pays de la sous-région.
L’effort de pêche pourrait alors être encouragé ou régulé par des subventions ou des taxes sur les pêcheries. Enfin, un modèle plus théorique, « idéaliste », évalue l’option « mutualiste », consistant à mettre en commun toutes les flottes, pour n’en faire qu’une seule circulant librement dans la région.
Évaluer l’effort de pêche
« L’exploitation compétitive s’avère sans conteste la plus périlleuse , indique Timothée Brochier. Elle conduit inexorablement les acteurs à intensifier en permanence leur effort de pêche, jusqu’à rendre l’activité non rentable du fait de la raréfaction de la ressource disponible « . Selon le modèle, cette compétition forcenée aboutit systématiquement à l’effondrement des pêcheries dans les pays où la densité de poisson est la plus faible.
À l’inverse, l’exploitation coopérative de la ressource permet de maintenir l’activité des acteurs de toute la région. « Mais c’est un système mathématiquement instable , prévient le modélisateur. L’équilibre du mécanisme de régulation de l’effort de pêche par les subventions et les taxes est difficile à trouver et doit d’être réajusté en permanence » . Pour y parvenir, il faut réévaluer régulièrement la distribution de cet effort par pays.
« Le modèle mutualiste, dont la mise en œuvre paraît pour le moins utopique, aboutit potentiellement au même résultat, conclut Timothée Brochier. Mais il a l’avantage, par rapport à l’approche coopérative, d’être stable dans le temps, l’effort de pêche étant limité pour tous par un même seuil de rentabilité. «
« Ces travaux menés en toute impartialité montrent qu’il est possible de parvenir à une exploitation équitable pour tous. Ils encouragent la gestion concertée entre pays de cette ressource renouvelable qui pourrait un jour s’effondrer, ce que personne ne souhaite. Mais cela suppose beaucoup de volonté politique pour mettre en œuvre les mécanismes de régulations, de contrôle et de surveillance indispensables « , conclut Patrice Brehmer.