ENVIRONNEMENT

Le sol, un écosystème invisible en péril

Les sols sont bien plus qu’un simple support pour les cultures agricoles. Ils constituent un écosystème à part entière, qui abrite un quart de la biodiversité mondiale. Bactéries, champignons, vers de terre et autres micro-organismes jouent un rôle essentiel dans la fertilité des terres, la filtration de l’eau et la régulation du climat. Pourtant, cet équilibre fragile est aujourd’hui menacé par l’agriculture intensive, la pollution et le changement climatique.

Selon un rapport de la FAO, 33 % des sols mondiaux sont déjà dégradés. Une situation alarmante, comme le souligne Marie Liesse Vermeire, chercheuse en agroécologie au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD). Pour elle,  « Nous avons tendance à considérer les sols comme un simple substrat, alors qu’ils sont un véritable écosystème vivant. Ils sont essentiels à la production alimentaire et à la résilience des cultures face au changement climatique. »

Aujourd’hui, l’industrialisation de l’agriculture a profondément bouleversé la composition des sols. L’usage excessif d’engrais chimiques, de pesticides et de machines lourdes détruit la microfaune indispensable à la bonne santé des terres. Pour  Dominique Mass, spécialiste des sols et de l’agriculture durable et chercheur à l’IRD, « l’agriculture moderne épuise nos sols au lieu de les nourrir ».   Un sol vivant est un sol productif. Si nous continuons sur cette voie, nous risquons d’entrer dans une spirale de baisse de rendement et d’épuisement des terres, prévient le spécialiste.

L’érosion constitue également une menace de taille à la dégradation des sols. La Directrice générale adjointe de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, Marie Helena Semedo  explique que «L’érosion appauvrit les sols en nutriments et en matière organique, rendant les cultures plus vulnérables aux maladies et aux aléas climatiques.» 

Ainsi, pour elle, protéger les sols, c’est garantir la sécurité alimentaire des générations futures. D’ici 2050, elle pourrait entraîner une perte de 10 % de la production agricole mondiale et la disparition de 75 milliards de tonnes de sols fertiles selon le rapport la FAO, de 2021 sur l’état des ressources en terres et en eau pour l’alimentation et l’agriculture dans le monde.

Des sols épuisés

En tant que deuxième plus grand réservoir de carbone après les océans, les sols jouent un rôle majeur dans la régulation du climat. Leur appauvrissement favorise la libération de CO₂ dans l’atmosphère, contribuant au réchauffement global.

La FAO estime que la dégradation des sols a déjà provoqué la libération de 78 gigatonnes de carbone. À en croire Ronald Vargas, expert en gestion des terres à la FAO, « Il ne s’agit pas seulement de produire plus, mais de produire mieux, en favorisant des pratiques qui respectent les cycles naturels et améliorent la santé des sols. » conseille t-il.

Face à l’urgence, des alternatives existent. L’agroécologie, qui mise sur la diversification des cultures, l’enrichissement des sols en matière organique et la réduction du travail du sol, permet de préserver la biodiversité souterraine tout en maintenant une production agricole efficace.

L’agroforesterie représente également une solution prometteuse. En associant arbres et cultures, elle favorise l’infiltration de l’eau, protège les sols de l’érosion et stimule la vie microbienne. Selon  Dominique Mass, l’implication des agriculteurs est essentielle : « Il est impératif d’accompagner les agriculteurs dans cette transition. Beaucoup sont conscients des limites du modèle actuel, mais ils ont besoin de soutien pour adopter de nouvelles pratiques. » dit-il.

Une responsabilité collective

Si des solutions existent, elles peinent encore à se généraliser. Le manque d’incitations financières et de réglementations contraignantes freine l’adoption de pratiques durables. Marie Liesse Vermeire pense que:« La gestion durable des sols doit devenir une priorité politique. Il faut des mesures concrètes pour encourager les pratiques agricoles respectueuses des sols et protéger cet écosystème fragile».

Cependant, des initiatives commencent à émerger. En effet, la FAO a lancé la carte mondiale des sols touchés par la salinisation, un outil destiné à aider les décideurs à identifier les zones les plus vulnérables. Des instruments comme la Charte mondiale des sols et les Directives volontaires pour une gestion durable des sols visent également à encourager les États à prendre des engagements plus fermes.

« Il est encore temps d’agir, mais nous devons changer radicalement notre rapport aux sols. Ce ne sont pas des ressources inépuisables, mais des milieux vivants qu’il faut préserver. », rassure Ronald Vargas. Les sols sont un bien commun dont dépend notre avenir. Leur préservation ne concerne pas uniquement les agriculteurs et les scientifiques, mais l’ensemble de la société. Protéger cet écosystème invisible, c’est garantir la sécurité alimentaire, lutter contre le changement climatique et préserver la biodiversité.

L’avenir de notre alimentation et de notre planète repose sur notre capacité à réconcilier agriculture et nature. Les sols, bien qu’invisibles, sont au cœur des grands défis de notre siècle.

Nasser Maïkano (Stag)

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