ACTU SCIENCE RECHERCHE

Du fact-checking à la recherche : comprendre la désinformation au-delà des faits

Depuis quelques années, l’Afrique de l’Ouest francophone est le théâtre d’une recomposition profonde des imaginaires politiques et médiatiques. Dans un contexte de crises sécuritaires, de transitions politiques et de reconfigurations diplomatiques, les discours anti-français prennent une ampleur inédite, particulièrement au Burkina Faso, au Mali et au Niger.

Alimentés par une désinformation massive, souvent relayée via les réseaux sociaux, ces récits attisent un sentiment de rejet envers la France et ses symboles, jusqu’à influencer les choix politiques de certains régimes de la région. 

Mais que racontent réellement ces discours ? D’où viennent-ils, comment circulent-ils, et que traduisent-ils sur les sociétés qui les portent ? C’est à ces questions que tente de répondre le travail de recherche de Dô DAO dit Drissa, jeune chercheur burkinabè, à travers une analyse semi-narrative minutieuse des récits de désinformation liés à la politique anti-française entre les années 2021 et 2023.

Dans son mémoire intitulé « Analyse semi-narrative du discours de la désinformation de la politique anti-française », Drissa explore les mécanismes de ces récits qui façonnent l’opinion publique et redessinent les rapports entre la France et ses anciennes colonies. Dans cet entretien exclusif accordé à All For Sciences Media, il revient sur les ressorts narratifs, les vecteurs de diffusion et les implications géopolitiques de cette guerre informationnelle.

Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer brièvement le sujet de votre mémoire et ce qu’il recouvre exactement ?

Mon mémoire s’intitule « Analyse semi-narrative du discours de la désinformation de la politique anti-française au Burkina Faso, au Mali et au Niger de 2021 à 2023 ».

Dans ce mémoire, j’explore comment les fausses informations sont construites et diffusées pour influencer l’opinion publique et exacerber les tensions politiques et diplomatiques entre les pays que je viens de citer tout haut et la France.

J’ai analysé les articles de fact-checking pour décrypter les stratégies narratives et les actes de langage utilisés dans ces fake news, en m’appuyant sur les théories de la sémiotique narrative et de la pragmatique.

Ici, l’objectif était de montrer comment la désinformation n’est pas un fait de hasard, n’est pas aléatoire. Elle manipule les faits, les récits complexes et exploite les tensions. D’où le choix du sujet. 

Qu’est-ce qui vous a motivé, sur le plan académique ou personnel, à choisir ce sujet en particulier ?

D’ailleurs, je tiens à vous dire je suis journaliste – fact-checker. Donc sur le plan professionnel, mon travail de fact-checker m’a confronté quotidiennement à l’impact « dévastateur » des fake news sur la cohésion sociale et les relations internationales.

J’ai voulu comprendre comment ces récits fonctionnent au-delà de leur caractère faux. Sur le plan académique, la sémiotique m’a offert des outils pour analyser ces mécanismes de la désinformation. 

Quelles ont été les principales conclusions ou résultats que vous avez pu tirer de cette étude ?

Merci bien pour la question.  Trois résultats majeurs se dégagent. Premièrement, les fake news anti-française mélangent souvent des éléments vrais et faux pour paraître crédibles, comme des vidéos détournées et des déclarations hors de leur contexte.

Deuxièmement, ils utilisent des actes de langage bien précis. En pragmatique, on va parler des assertifs, qui permettent d’affirmer des faits, des directifs, qui permettent d’inciter à l’action, ce qui renforce le pouvoir de persuasion de ces fausses informations.

Enfin, on pourrait dire que le but est clairement politique, parce que manipuler l’opinion publique pour alimenter la méfiance envers la France justifie ou légitimise la prise du pouvoir par des coups de force. 

En quoi pensez-vous que votre travail apporte une contribution nouvelle à la compréhension des dynamiques informationnelles et politiques dans ces régions ?

Ma recherche montre que la désinformation n’est pas qu’un problème technique ou journalistique. C’est un récit qui s’inscrit dans des tensions, je dirais, historiques ou géopolitiques. En croisant l’analyse sémiotique et l’analyse des discours, j’ai pu révéler comment ces récits exploitent des émotions pour mobiliser les populations.

C’est une approche novatrice, à mon avis, parce qu’elle permet de faire une analyse de ce phénomène de la désinformation qui semble un peu récente en Afrique et moins étudié. 

Avez-vous envisagé des prolongements possibles à cette recherche, que ce soit en doctorat, dans un cadre professionnel ou à travers d’autres projets ?

Absolument. La désinformation reste un phénomène encore trop peu étudié en Afrique, particulièrement au Burkina Faso.

Mon ambition est donc de poursuivre en doctorat pour approfondir l’analyse des récits trompeurs, afin d’offrir au grand public une compréhension globale du sujet. Aujourd’hui, avec l’émergence de l’intelligence artificielle la désinformation est devenue plus complexe que jamais.

Comme je le disais, je suis moi-même journaliste-fact-checker. Mon objectif c’est de faire le pont entre la recherche et le terrain.

Expliquer scientifiquement les mécanismes de la désinformation au grand public tout en enrichissant le monde académique, parce qu’il faut l’avouer malgré son ampleur, le sujet de la désinformation reste encore sous-étudiée en Afrique. Et c’est cette lacune que je veux aider à combler. 

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