Depuis plusieurs années, la ville de Bujumbura, capitale économique du Burundi, fait face à une croissance démographique rapide avec un taux de 2,65%, avec une urbanisation parfois désordonnée et à une pression accrue sur ses ressources en eau potable.
Dans ce contexte tendu, les inégalités d’accès, les défaillances des réseaux de distribution et les tensions sur les capacités de gestion deviennent des enjeux cruciaux pour les autorités et les populations.
C’est à cette problématique vitale qu’a choisi de s’attaquer Anthia Sarah Carmel Irakoze à travers sa recherche : « Développement d’un modèle intégré de gestion de l’eau potable dans la ville de Bujumbura ». Son travail propose une vision systémique, articulant données techniques, gouvernance participative et durabilité à long terme.
En combinant approche académique et ancrage dans les réalités locales, elle imagine un modèle capable de transformer la manière dont l’eau est pensée, distribuée et valorisée en milieu urbain.
Pour appuyer sa réflexion, Anthia a eu recours au logiciel EPANET, outil de simulation hydraulique reconnu, qui lui a permis de modéliser le comportement du réseau et d’optimiser les scénarios de réhabilitation.
Dans cet entretien exclusif accordé à All For Sciences Media, elle revient sur les grandes lignes de sa recherche, ses recommandations concrètes, et sa vision pour l’avenir de la gestion de l’eau en Afrique de l’Est.
Pour commencer, peux-tu nous présenter en quoi consiste ton modèle intégré de gestion de l’eau potable et pourquoi il est important pour une ville comme Bujumbura ?
Mon modèle intégré vise à réorganiser en profondeur la gestion de l’eau potable à Bujumbura, en combinant les dimensions techniques, institutionnelles et communautaires. Il repose notamment sur la réhabilitation complète d’un réseau de distribution obsolète, en service depuis plus de 50 ans, et sur l’introduction d’une gestion sectorielle.
Celle-ci consiste à diviser la ville en zones de distribution bien définies, ce qui permet un meilleur contrôle des flux, une intervention rapide en cas d’incident et une réduction significative des risques de contamination.
Pour concevoir et tester ce modèle, j’ai utilisé EPANET, un logiciel de simulation hydraulique qui permet de modéliser le comportement des réseaux d’eau potable. Grâce à cet outil, j’ai pu analyser différents scénarios de réhabilitation et proposer des solutions adaptées au contexte de Bujumbura.
Une gestion intégrée, appuyée par la modélisation, est essentielle pour garantir un approvisionnement fiable, améliorer l’efficacité du système et renforcer sa résilience face aux défis climatiques, démographiques et sanitaires.
Anthia Sarah Carmel Irakoze, ingénieure hydraulique
Pourquoi as-tu choisi de travailler sur la gestion de l’eau potable en milieu urbain, et plus précisément à Bujumbura ? Est-ce lié à une problématique locale que tu as observée personnellement ?
Oui, mon choix est motivé à la fois par mon vécu personnel et par une observation concrète des défis rencontrés sur le terrain. Bujumbura est une ville à forte croissance, où l’accès à l’eau potable reste inégal et incertain, en particulier dans les quartiers périphériques.
Ce que j’ai personnellement constaté les coupures fréquentes, les réservoirs partagés, la qualité incertaine de l’eau m’a poussée à chercher des solutions concrètes. Mon intérêt s’est naturellement orienté vers une approche technique, mais aussi humaine, capable de répondre aux besoins actuels tout en anticipant ceux de demain.
Quelles sont les faiblesses majeures que tu as identifiées dans le système actuel d’approvisionnement en eau potable dans la ville ?
La principale faiblesse est l’ancienneté du réseau de distribution. Cela engendre :
• Des fuites importantes qui entraînent une perte de volumes précieux ;
• Des risques accrus de contamination, en particulier dans les zones à basse pression ;
• Une inefficacité dans la distribution, avec des zones suralimentées et d’autres sous-
alimentées ;
• Une difficulté à gérer et isoler les incidents.
L’absence de sectorisation du réseau complique également la gestion opérationnelle. Sans zones de distribution clairement définies, chaque incident a le potentiel de perturber tout le système.
Votre modèle intègre plusieurs dimensions, peux-tu nous expliquer brièvement les composantes ?
Le modèle comprend quatre grandes composantes à savoir :
. Réhabilitation du réseau :qui consiste au remplacement des canalisations vieillissantes pour réduire les pertes et les risques sanitaires.
. Sectorisation intelligente : il s’agit ici de la division de la ville en zones hydrauliquement indépendantes, facilitant la régulation, la maintenance et la détection des fuites.
. Renforcement institutionnel : amélioration de la coordination entre les acteurs, formation des équipes techniques, numérisation de la gestion.
. Approche communautaire et équitable : qui renvoie à l’implication des usagers, éducation à l’utilisation responsable de l’eau, tarification sociale et juste.
En quoi ton approche se distingue-t-elle des méthodes classiques de gestion de l’eau urbaine ? Penses-tu qu’elle soit applicable à d’autres villes du Burundi ou de la sous-région ?
Là où les approches classiques se concentrent souvent uniquement sur l’expansion du réseau,mon modèle met l’accent sur la structuration du réseau existant, sa modernisation, et surtout sa gestion par secteurs, une pratique encore peu développée dans la région.
Cette méthode permet une gestion proactive, une meilleure traçabilité des problèmes et une réponse rapide aux urgences. Elle est tout à fait applicable à d’autres villes du Burundi ou de la sous-région confrontées aux mêmes défis : réseaux anciens, urbanisation rapide, faibles moyens techniques.
Quelles ont été les principales difficultés rencontrées dans l’élaboration de ton modèle que ce soit sur le plan technique, institutionnel ou socio-économique ?
Parmi les obstacles majeurs, nous pouvons citer :
• L’absence de données actualisées sur le réseau, ce qui a compliqué l’analyse hydraulique et la cartographie des zones critiques.
• Le manque de ressources financières pour envisager une réhabilitation complète à court terme.
• Des résistances au changement, notamment en ce qui concerne la sectorisation, perçue comme une rupture par certains opérateurs traditionnels.
Ces défis m’ont poussée à proposer des solutions flexibles, adaptables par phases, et à renforcer la dimension participative.
Comment envisages-tu la suite de ce travail : aimerais-tu collaborer avec les autorités locales, les ONG ou les institutions de recherche pour mettre en œuvre ce modèle sur le terrain ?
Oui, la suite logique de ce projet est sa mise en œuvre sur le terrain en collaboration avec les autorités locales, la REGIDESO, les ONG spécialisées et les institutions académiques. Je crois fermement à une démarche collaborative pour garantir l’appropriation locale et la durabilité du modèle.
Propos recueillis par Zara Yasmine Hassan