Les téléphones portables se sont imposés dans le quotidien des Sénégalais, devenant des outils indispensables de communication, de travail et d’accès à l’information. Mais, derrière cette facilité de communication se cache un coût environnemental majeur. À l’échelle mondiale, 62 millions de tonnes de déchets électroniques ont été produites en 2022, selon le Global E-waste Monitor des Nations unies, soit une hausse de 82 % par rapport à 2010.
Au Sénégal, aucune statistique officielle ne permet de mesurer précisément la part des téléphones portables dans ces déchets. La collecte et le recyclage restent largement informels, exposant travailleurs et riverains à des substances toxiques, dans un contexte de régulation encore fragile.
À Dakar, les téléphones usés s’entassent sur le sol, sur des bâches poussiéreuses, exposés au soleil et aux pluies. Le marché de Colobane, proche du centre-ville de Dakar, est le temple de la récupération des déchets électroniques.
Dans la ruelle Robinet Bay Fall, des boutiques et des réparateurs de téléphones démontent ces appareils pièce par pièce, assis devant de petites tables improvisées.
Fallou Diagne est grossiste de téléphone depuis plus de 10ans, il importe chaque moi plusieurs conteneur dit-il : « Chaque conteneur peut contenir 1000 à 3000 appareils. La plupart proviennent de la Chine, d’Europe ou des États-Unis. Les réparateurs tentent de remettre en état ces téléphones. Ceux qui ne peuvent être réparés sont revendus ou démontés pour récupérer certaines pièces. »
Dans ces allées du marché Colobane, des vendeurs déambulent smartphones à la main, Amadou Ba déclare : « Pendant la réparation, certaines pièces chauffent et dégagent des fumées qui peuvent causer des anomalies à nos yeux. », dit-il ; « Beaucoup d’entre nous constatent déjà une dégradation de la vision après des années de travail. Mais Dieu sait qu’on n’a pas le choix vraiment »
Un problème mondial aux répercussions locales
Ces ateliers manquent d’importants équipements de protection individuelle (EPI). Les réparateurs travaillent sans gants ni masque ou lunettes, exposés aux substances toxiques contenues dans les téléphones, comme le plomb, le mercure ou les éléments traces métalliques.
Cette exposition quotidienne soulève de sérieuses inquiétudes sanitaires. Dr Tchim Epassy, responsable à Enda Energy, explique que « les déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) contiennent des substances gérables, mais le problème survient lors du démantèlement. Les personnes exposées manipulent ces appareils directement, ce qui entraîne un risque réel pour leur santé et l’environnement. »
Selon le rapport Global E-Waste Monitor 2024 de l’ONU, une grande partie des déchets électroniques circulent dans l’informel en Afrique de l’Ouest, échappant aux systèmes de suivi officiels et parfois aux contrôles douaniers. Même les équipements de deuxième main, après quelques mois, deviennent des déchets.
À l’échelle mondiale, les écarts de gestion des déchets électroniques sont particulièrement marqués. En 2022, l’Europe était la région qui produisait le plus de déchets électroniques (17,6 kg par habitant) et affichait le taux officiel de collecte et de recyclage le plus élevé (7,5 kg par habitant), recyclant ainsi 42,8 % des déchets électroniques produits. Les pays africains présentaient le taux le plus faible, avec moins de 1 % des déchets électroniques collectés et recyclés officiellement.

À 23 kilomètres du centre-ville de Dakar, le dépôt d’ordure de Mbeubeus, l’un des plus grands d’Afrique de l’Ouest (115,5 hectares), reçoit des milliers de tonnes de déchets électroniques chaque année.
Des jeunes récupérateurs fouillent des sacs remplis de coques fondues et de batteries gonflées. Rien n’est réellement jeté : tout se revend, se démonte, se brûle parfois, dans une fumée âcre qui se disperse.
À quelques mètres du dépotoir, certaines familles en subissent déjà les effets. Modou Mbow est domicilié avec sa famille à 200 mètre du dépotoir de Mbeubeuss.
« Ma fille est tombée malade après avoir été exposée aux fumées et poussières provenant du dépôt. » En suite, il ajoute : « Le médecin nous a dit l’exposition prolongée aux déchets électroniques ont provoqué des maladies respiratoires chez ma fille après consultation. »
L’exposition au plomb liée aux déchets électroniques constitue une urgence sanitaire, en particulier pour les enfants, selon Dre Fatou Tabane, écotoxicologue à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, « Le plomb est un poison cumulatif extrêmement dangereux pour l’enfant. Même à faible dose, il peut provoquer des atteintes irréversibles du développement cognitif et comportemental : troubles de la mémoire, difficultés d’apprentissage, ainsi que des troubles visuels et auditifs », a-t-elle dit.
« Le plus préoccupant, c’est que ces intoxications sont souvent discrètes. Les symptômes ne sont pas spécifiques et passent inaperçus. Chez les filles, le plomb stocké dans les os peut être transmis au fœtus lors d’une grossesse, exposant ainsi la génération suivante. »
– Dr Fatou Tabane, écotoxicologue, UCAD
Face à ces dangers sanitaires avérés, la question de la gestion et de la responsabilité publique se pose. La société national de gestion intégrée des déchets (SONAGED) est une des rares sociétés de gestion de déchets au Sénégal, selon un des responsables du service recyclage, Latyre Diop explique : « Nous sommes conscients des risques liés aux dépôts de déchets, mais le suivi est limité. La coordination entre acteurs publics et privés reste un défi pour la sécurisation de ces sites. »
Un impact sanitaire et social
Les conséquences sanitaires et sociales sont réelles. Les réparateurs, souvent pères de famille, continuent ce travail pour survivre, malgré les risques. À Sandaga, le marché du centre-ville de Dakar, avec ses étals serrés et son intense activité commerciale, un passage étroit attire les réparateurs de téléphones.
Cet autre haut lieu du commerce informel, concentre une multitude de petites commerces où s’échangent, se démontent et se réparent des téléphones venus de l’étranger.
Trouver sur place, Sega Faye entrain de réparer un téléphone, ceci est son quotidien depuis deux décennies. Son plan de travail, une simple table en bois tenu par-dessous avec deux briques. En dessus, des cartes mères, un loup et des téléphones détachés.
« La majeur partie des téléphones que je répare proviennent de l’Europe. Entre écran et batterie, je travaille pour ma famille. Les téléphones irréparables, on les vend aux chinois. On sait en âme et conscience les risques qui en découlent de ce travail, » a-t-il dit.
Sega Faye reparateur de telephones
Ensuite, il poursuit : « mais si tu as une famille à nourrir, tu n’as pas le choix donc tu fais comme tout le monde. En tant que musulman, je me remets à Dieu », a conclu Sega Faye.
Au-delà des ateliers de réparation, cette situation s’explique aussi par nos habitudes de consommation. Pour Youssouf Bodian, journaliste spécialisé en environnement, la multiplication des téléphones dans le quotidien des ménages alimente la croissance de ces déchets. « La société de consommation augmente les déchets. Les gens achètent plusieurs téléphones par an alors qu’ils n’en ont pas besoin. Il faut sensibiliser sur l’impact écologique de ces déchets. »
Ensuite, il ajoute : « Si les réparateurs sont formés et sensibilisés, et si les consommateurs adoptent une consommation rationnelle, nous pourrions réduire considérablement ces déchets. »
Pour l’instant, tel n’est pas le cas parce que des incidents graves ont été documentés en juin 2008, selon l’Organisation Mondiale de Santé (OMS) qui révèle qu’une intoxication au plomb est à l’origine du décès, de 18 enfants au Sénégal. Ces intoxiqués au plomb, montrant que les risques dépassent les seuls ateliers.
Cependant, le cadre légal existe sur le papier : le Sénégal a ratifié les conventions de Bâle et de Stockholm sur les déchets dangereux, incluant les DEEE. Mais la loi reste peu appliquée faute de décrets d’application et de suivi.
Pour Pape Ibrahima Ndiaye, journaliste en environnement révèle que « La sensibilisation sur l’utilisation de ces déchets est difficile. Les lois existent, mais les décrets d’application peinent à se concrétiser. Il faut former les réparateurs et conscientiser les utilisateurs sur l’impact de leur consommation. »
D’après les données de juin 2023, le rythme de croissance du nombre de pays mettant en œuvre une politique, une législation ou une réglementation relative aux déchets électroniques ralentit. À l’échelle mondiale, 81 pays (soit 42 %) disposent actuellement d’une telle politique, législation ou réglementation. Ce chiffre est inférieur à l’objectif de l’UIT, qui est de 50 % (97 pays) d’ici 2023.

Des initiatives insuffisantes face à l’ampleur du problème
Le recyclage et la valorisation existent, mais restent limités. Les acteurs du secteur soulignent la nécessité de programmes de formation, de sensibilisation et d’infrastructures adaptées pour protéger à la fois les réparateurs et l’environnement. Les téléphones portables, instruments de modernité, sont également source de risques invisibles.
Au Sénégal, la majorité des réparateurs travaillent exposés aux substances toxiques, sans protection ni cadre légal efficace. Pour réduire l’impact des déchets électroniques, il faut sensibiliser les utilisateurs, former les réparateurs et renforcer le recyclage, tout en appliquant pleinement les lois existantes.
L’enjeu est de taille : protéger la santé publique et l’environnement, tout en permettant aux populations de continuer à utiliser ces technologies essentielles.
Abdourahime Diallo